mardi 19 juillet 2011

Cristina Campo, Le tigre absence.

 L'oeuvre de Cristina Campo alias Vittoria Guerrini est rare:  en tout et pour tout deux recueils de textes en prose dont un posthume  déjà évoqué ici - Les Impardonnables- et La noix d'or; des lettres - à son amie "Mitia"- et quelques poèmes, réunis par l'excellent éditeur Arfuyen, en 1996, déjà... dans cette même collection qui accueille Emily Dickinson et Katherine Mansfield, deux des auteurs que Campo avait traduites, d'évidence. Les poèmes rassemblés sous ce titre sont précieux, tristes, enchantés par les passions de Cristina Campo pour- en vrac- la lithurgie byzantine, la philosophe Simone Weil, Rome... 

Elle-même "prise entre la fascination du silence et celle de l'expression", ce sont les mots de sa traductrice Monique Baccelli,  passionnée et fidèle à peu de personnes ( elle fera publier des extraits du journal d'une amie morte pendant un bombardement, Anna Cavalotti),dont ses parents avec lesquels elle vivra jusqu'à leur disparition, ou son amant  Ellemire Zolla.... Cristina Campo a su fixer dans une langue diamantine et comme réticente parfois des instants de grâce, ceux d'avant une disparition.
 D'une exigence dont on ne peut douter qu'elle dut être épuisante et douloureuse,   surgissent tout à la fois une fraternité sombre - "Poiché tutti viviamo de stelle spente / Puisque tous nous vivons d'étoiles éteintes -, une dramaturgie aérienne - "Un anno... Trattevena la sua stella il cielo dell'avento. Sulla bocca senza febbre o paura la mia mano ti disegnava, oscura, una parola / Une année... Le ciel de l'Avent retenait son étoile. Sur la bouche sans fièvre ni peur ma main te traçait, obscure, une parole.", et une étrange solitude - "De mondi-e io vengo dall'altro / Deux mondes- et moi je viens de l'autre".


 Cristina Campo, Le Tigre Absence, poèmes traduits et présentés par Monique Baccelli, Arfuyen, Paris, 1996.

3 commentaires:

  1. « De mondi-e io vengo dall'altro »... autre le monde : là où l'instant est flamme, hésitation d'être et du dire, mystère du regard plongé dans son brouillard, accouchant d'un apparaître : poème ou prière afin que « la Tigre Assenza, / o amati, / non divori la bocca / e la preghiera… ».
    Sublime Cristina. Et très justes vos mots : en effet, elle paraît "fixer dans une langue diamantine et comme réticente parfois des instants de grâce, ceux d'avant une disparition". C'est l'essence même du poème : dévoilement d'être, surgissement d'un éclat aux confins d'une disparition, dont la transparence n'empêche en rien l'empreinte, l'écho - voire des fois la vision...
    Grand bien à vous (et à jmg). Salut

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    1. Touchée encore ( une suspension de mon profil -quels vilains mots- m'a gênée pour vous répondre auparavant) de cette lecture attentive que vous faites... Cristina Campo et Alejandra Pizarnik sont pour moi des sources ineffables de ravissement; elles m'impressionnent aussi terriblement dans leur exigence, poétique, morale - mais n'est-ce pas la même chose?

      Encore merci pour vos paroles, et à bientôt!

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    2. ...et moi qui ne découvre votre adorable réponse qu'aujourd'hui ! Merci infiniment - depuis les confins du désert marocain, un grand salut à vous

      (...car ce silence du désert est tel, que les sons fortuits et même le bruit systématique de la civilisation, ne peuvent l'abolir. Ils coexistent avec lui, - à titre de petits incohérences à angle droit par rapport à une signification énorme, de veines de quelque chose d'analogue à l'obscurité dans une transparence persistante... | Aldous Huxley, Le Désert, in Les Portes de la Perception)

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