jeudi 27 décembre 2012

PATRICK MODIANO / Fleurs de ruine


C'était en novembre, rue Gay-Lussac, ou bien rue de l'Epée, d'un café l'autre, entre deux séances de cinéma au Studio des Ursulines... Un jeune couple meurt étrangement après une nuit de fête et d'errance lors de laquelle il aurait fait la rencontre -funeste?- d'un homme mystérieux, aux visages multiples...
C'était il y a longtemps, l'époque d'avant le périphérique, " qui vous donne une sensation d'encerclement. Les portes de Paris, en ce temps-là, étaient toutes en lignes de fuite, la ville peu à peu desserrait son étreinte pour se perdre dans les terrains vagues." Les cafés accueillaient déjà de drôles d'oiseaux de nuit, et les enfants pouvaient se perdre dans la ville sans fin avant que la porte d'une chambre d'hôtel ne s'ouvre pour les réchauffer -ou les engloutir.

  Palimpseste mélancolique sillonné par les silhouettes du père et du frère disparus, de quelques marlous et autres décadents, "Fleurs de ruine" - un titre huysmanien en diable- célèbre à sa façon l'autre rive, celle de tous les dangers, de toutes les rencontres non moins que la séduction absolue exercée par le beau visage triste d'une sage jeune fille... Tout passe, et malgré les déceptions et les pertes seul cela demeure: un visage, un regard, bouleversants.

A moins que... comme un mirage surgi de sous les pavés humides, brouillé, elliptique même, il ne s'agisse en fait d'une autre cité: Vienne, où le narrateur et sa petite amie ravie à un riche protecteur se sont enfuis; Vienne où Jacqueline vit peut-être encore, sans que désormais il le sache; Vienne qui ne cesse de se réécrire, impériale ou rouge, au gré de son histoire, et de façon plus intime et diffuse, au gré de nos histoires d'amour, de toutes les histoires d'amour...

Je suis sûre  que "Fleurs de ruine" ne raconte pas vraiment ce que j'en dis là. Ce que ces fleurs étranges proposent est évidemment autre que ce que j'y ai mis, comme il se doit dans toute lecture. Reste que, de cet enlacement, le visage d'Anna Karina dans "Vivre sa vie" s'est imposé à moi.

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